Les leçons à tirer d’Afrique du Sud
Hisham Ahmed
Le mur qui est en construction dans tout le territoire palestinien est ainsi connu sous le nom de Mur de l’Apartheid et, dernièrement, le président Yasser Arafat a invoqué l’Afrique du Sud quand, lors d’une interview avec le journal Sharq al Awsat, basé à Londres, il a dit qu’il serait heureux de faire comme Nelson Mandela et de se retirer en faveur d’une nouvelle génération de dirigeants, mais seulement, comme dans le cas de l’Afrique du Sud, lorsque la nation sera devenue une réalité.
En effet, le système d’apartheid sud africain fait preuve de certaines similarités avec le système installé par le gouvernement israélien afin de régner sur les Palestiniens occupés. Pour ne donner qu’un exemple, mais le plus évident, les Palestiniens dans les territoires occupés vivent sous une loi, la loi militaire, alors que les colons israéliens, dans ces mêmes territoires occupés, vivent sous une autre loi, la loi civile israélienne.
Depuis 1948, Israël utilise ce qui est connu sous le nom de ’règlements d’urgence’, qui ont été à l’origine inventés par les autorités du Mandat britannique et ironiquement pour être utilisés par les Britanniques contre les Juifs. Ces règlements d’urgence ont été utilisés pendant des années contre la population palestinienne à l’intérieur de la Ligne verte et, depuis l’occupation de la Bande de Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem Est, ils sont toujours appliqués dans les territoires palestiniens occupés.
Ces règles donnent tout pouvoir légal au gouverneur militaire israélien vis-à-vis de la population palestinienne placée sous sa dépendance, contrairement aux colons dans les territoires occupés qui sont assujettis à la police civile israélienne. Ainsi un Palestinien sera traduit devant un tribunal militaire (s’il doit être présenté au tribunal et n’est pas simplement placé en détention administrative) alors qu’un colon israélien gardera pleinement ses droits civils et politiques devant un tribunal civil.
En général, alors qu’Israël veut se montrer comme un pays de droit, le fait demeure que pour les Palestiniens, les tribunaux israéliens sont l’instrument principal à travers lequel la torture et la discrimination envers les Palestiniens sont institutionnalisés. Et à cet égard, il y a beaucoup d’autres exemples de discrimination flagrante qui sont remarquablement identiques à celles de l’ère de l’apartheid (comparez les routes réservées aux seuls colons aux restaurants réservés aux seuls blancs ou le « droit au retour » des Juifs qui n’avaient jamais été dans le pays alors que les réfugiés palestiniens originaires du pays se morfondent en exil, etc.).
Mais il y a également des différences importantes. La lutte des noirs sud-africains était celle pour obtenir des droits égaux dans un pays unique. Alors que certains Palestiniens plaident pour une lutte similaire ici, le conflit israélo-palestinien est devenu avant tout une lutte pour la création de deux états séparés ou plutôt pour un Etat palestinien à côté d’Israël.
Et alors que la lutte contre l’apartheid était une lutte pour des droits sociaux et politiques égaux, la lutte palestinienne, en plus de cela, est aussi une lutte existentielle. Le premier ministre israélien actuel est le premier qui ait déclaré ouvertement qu’il accepterait un état palestinien mais sur le terrain, il fait de son mieux pour s’assurer qu’une telle chose ne devienne jamais une réalité en isolant les Palestiniens dans des cantons et en imposant sa propre vision du territoire sur lequel un tel état pourrait se bâtir.
Finalement, le régime d’apartheid existait alors qu’il y avait encore un équilibre mondial des pouvoirs. Le monde unipolaire d’aujourd’hui dépend totalement de l’oscillation de l’unique hégémonie mondiale, les Etats-Unis. Et les Etats-Unis sont ceux qui soutiennent avec le plus de fermeté Israël. Alors que les noirs d’Afrique du Sud étaient soutenus par une solidarité capitale de secteurs de la société américaine pour qui le mouvement des droits civils était un événement très puissant et déterminant, il n’existe pas d’équivalent pour les Palestiniens.
En cela se trouve le problème majeur des Palestiniens. Alors qu’une certaine quantité de pressions ont abouti à la fin du régime de l’apartheid, la plus importante a été l’isolement international et les sanctions économiques qui ont finalement été imposées sur ce pays. Les Palestiniens ont essayé et continuent à essayer de convaincre la communauté internationale qu’une action similaire vis-à-vis d’Israël pourrait être une manière efficace de résoudre finalement ce conflit. Mais tant que les Etats-Unis continuent avec succès de bloquer de telles tentatives à l’aide son droit de veto au Conseil de Sécurité des Nations Unies ou par pression directe sur un certain nombre de pays (et en tant que seul pouvoir global, les Etats-Unis peuvent dicter et déterminer le sens du déroulement des processus politiques) cette méthode est un moyen de pression qui restera longtemps interdit aux Palestiniens.
En bref, si l’apartheid sud africain et l’occupation israélienne présentent des similitudes dans le fait qu’un peuple donné veut contrôler un autre peuple indigène d’un pays donné et dans jusqu’où ils sont prêts à aller pour écraser la volonté de ces populations visées, les Palestiniens doivent aussi comprendre les différences entre les deux cas afin de mieux obtenir leurs droits nationaux. Ainsi, alors que l’apartheid sud africain peut soutenir une comparaison assez juste pour illustrer la situation difficile du peuple palestinien, il n’apporte pas nécessairement le modèle des actions à imiter. Les Palestiniens doivent être créatifs pour lutter pour leurs droits dans le contexte des particularités de leur situation, qui à certains aspects cruciaux est différente de l’apartheid.
Une situation identique mais une solution différente
Ghassan Khatib
Les parallèles évidents entre le conflit israélo-palestinien et l’apartheid en Afrique du Sud ne mènent pas nécessairement à la conclusion que la solution qui a réussi là-bas soit applicable ici.
Les pratiques israéliennes dans les territoires occupés palestiniens créent une situation d’apartheid ou deux communautés vivant sur un même territoire vivent sous deux ensembles de circonstances totalement différents, répondant à deux différents systèmes légaux, conduisant sur deux réseaux de routes séparées et travaillant sous des situations économiques différentes, etc. Ces différents ensembles de lois sont une preuve évidente de discrimination de la part des forces d’occupation qui représentent la minorité de colons et qui provoquent un énorme fossé entre les niveaux de vie des deux peuples.
Tout comme le régime de l’apartheid d’Afrique du Sud, Israël est en contravention nette avec la loi internationale, avec les résolutions des Nations Unies et avec l’opinion majoritaire de la communauté internationale en ce qui concerne le conflit. Il est évident que l’opinion internationale dans sa majorité est en faveur de l’application de droit international et donc clairement opposée à l’occupation illégale et aux pratiques d’apartheid qui en découlent.
Néanmoins, une différence significative à cet égard est la difficulté à transformer l’opinion publique mondiale en des positions officielles des gouvernements, surtout ceux qui sont influents. La raison principale est que l’une des deux parties dans le conflit, notamment Israël, a deux sources d’influence sur les gouvernements étrangers. L’une d’elles est le rôle stratégique que joue Israël dans la région, rôle qui sert les intérêts stratégiques des pouvoirs internationaux tels que les Etats-Unis.
L’autre source est l’existence de lobbies pro-Israël suffisamment puissants, économiquement et politiquement parlant, pour pouvoir influencer les positions et les comportements vis-à-vis du conflit des autres gouvernements, particulièrement les Etats Unis. Dans ce pays, l’influence de ces groupes de lobbies se fait notamment sentir au Congrès et au Sénat où les représentants savent que leurs votes concernant le conflit peuvent avoir une répercussion sur l’importance des fonds qu’ils recevront pour les campagnes des futures élections.
Cela a demandé des années d’effusion de sang et de discrimination raciale misérable, mais heureusement, en Afrique du Sud, ils ont réussi finalement à trouver une solution basée sur les principes fondamentaux de la démocratie, notamment une système de vote : un homme, un vote. Dans notre cas, une telle solution, même si elle est attirante pour les Palestiniens, n’a que peu de chance pratique d’être mis en œuvre. C’est pourquoi la seule voie de sortie possible semble être la partition de la terre entre deux peuples selon les résolutions pertinentes du Conseil de Sécurité des Nations Unies, dont certaines déterminent ce principe (UNSCR 181) et d’autres déterminent les frontières (UNSCR 242).
Les leçons les plus importantes qui peuvent être tirées, pour les Palestiniens et les Israéliens, de la situation en Afrique du Sud, sont au nombre de trois. Premièrement, les peuples des deux côtés doivent renoncer à l’utilisation de la violence et la remplacer par un dialogue constructif et des négociations ayant une meilleure chance de parvenir à une cœxistence pacifique.
Deuxièmement, les deux parties doivent aussi réaliser qu’elles ne peuvent pas obtenir tout ce qu’elles désirent. Ceci est la conclusion logique pour mener des négociations dans un esprit de compromis.
Troisièmement, pour toutes choses, un poids adéquat doit être donné à la légalité que ce soit en termes de suivi ou de respect du droit international actuel ou en basant toute future entente sur de nouvelles lois qui jouiraient du respect et de l’adhésion des deux parties.